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mardi 10 janvier 2012

L'INTERNATIONALE (Le père...)


L'INTERNATIONALE

POTTIER, Eugène,
Le père!

Eugène Pottier, est né à Paris, le 4 octobre 1816, rue Sainte-Anne à Paris, « né d’une mère dévote et d’un père bonapartiste » (*)
Il est le fils d'un modeste artisan emballeur. Scolarisé jusqu'à 12 ans (*), il est saisi, très tôt, de la nécessité d'écrire, mais doit ensuite travailler comme apprenti chez son père. C'est donc tout seul qu'il apprendra les règles de la versification.
Survient la Révolution de 1830...Les Trois Glorieuses font passer sur la France un souffle de liberté et d’égalité, annonciateur de République.
 « C’est un premier coup de tam-tam qui m’éveille », racontera ce petit Parisien  de quatorze ans qui compose, à cette occasion, sa première chanson intitulée "Vive la liberté". Chanson qu'il adresse à Béranger (*) son idole, son « divin maître », le célèbre chansonnier, gloire de l'époque, opposé à la monarchie, aux Jésuites et à tous les "affameurs du peuple".
Le jeune poète se rend dans les "goguettes", ces sociétés chantantes qui se réunissent dans les cafés, les guinguettes et autres lieux populaires, et d'où débordent les chansons dans les rues et dans les ateliers. Il y "roucoule" ( comme il dit) ses chansons.
Mais, comme la plupart des autres artistes, il lui faut bien exercer un métier par ailleurs.
Décidant de prendre ses distances avec l'atelier paternel, l'adolescent devient pion, à un salaire de misère, dans une école privée du faubourg Montmartre . Ses ambitions sont toujours littéraires et il écrit des saynètes pour les enfants.
Il fréquente la "bohème" de Murger, les "Buveurs d'eau" de Nadar, mais comme il lui faut bien vivre, il se résoud à prendre un emploi de commis papetier.
En 1838, il se lie avec un dessinateur d’impression sur tissu, fils d’un manufacturier en toiles de Jouy,  qui le prend dans son atelier comme "commis et teneur de livres", puis contremaître. Il y restera trente ans, à être, sous le couvert de l'amitié, férocement exploité.
Trente ans, tout au long desquels Eugène Pottier se marier, fonder une famille et délaisser peu à peu la poésie,
C'est la révolution de 1848 qui va le réveiller et lui  «ouvrir le cœur et le cerveau.» (dixit)
Il se plonge dans la lecture de Fourier, dont il tire poèmes et chansons.
Enthousiasmé par la nouvelle République, il va chanter les "Arbres de la Liberté" partout plantés. Mais la déception surviendra lorsqu'il verra sa « dynamite anarchiste...trop révolutionnaire pour la démocratie bourgeoise » (dixit).
 Lorsque les prolétaires passent à l'insurrection, à la suite de la dissolution des Ateliers nationaux, Pottier, qui se trouve parmi eux, est pris sous une fusillade mais en réchappe. La répression qui s'ensuit et ses conditions de vie de l'heure dégradent sa santé: névrose, congestions cérébrale, paralysie, et, désormais, il devra s'astreindre à un régime strictement végétarien et à ne boire exclusivement que de l'eau.

Le 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte déclenche son "18 Brumaire" (dixit K. Marx). Il a nommé le général de Saint-Arnaud ministre de la Guerre, en attendant de le nommer à l'Intérieur. Saint- Arnaud, ancien de la conquète de l'Algérie, haï par le peuple de Paris, qui l’avait conspué et jeté à bas de son cheval au cours des journées de février, va prendre sa revanche. Dans les jours qui suivent le coup d'état, ses troupes s'attaquent aux quartiers ouvriers parisiens au cri de : « Pas de pitié pour les Bédouins ! » (**).
A cette époque, Pottier est alité, et, paradoxalement, c'est sa mauvaise santé qui va le sauver du sort qui frappe alors les Républicains: prison, déportation ou exil.(***)
 De la IIe République de 1848 à la Commune, et donc tout au long du Second Empire, Eugène  s'est s'imprégné des différentes théories socialistes de son temps: de la pensée de Babeuf, il passe par celle de Fourier, puis de Proudhon.
Rue du Sentier, il fonde une petite entreprise de dessin et d'impression sur tissus,  Il y emploie une vingtaine de salariés, et le patron qu'il est devenu, les pousse à former, en 1864, la première Chambre syndicale des dessinateurs dont il sera le président et qu'il fera adhérer à la Première Internationale. Et c'est donc es-qualité qu'il signera le 12 juillet 1870, l’appel de la Fédération Parisienne de l’Association Internationale des Travailleurs intitulé « Aux travailleurs de tous les pays », pour tenter d'éviter la guerre.
Pendant ce temps, Pottier- le-poète, lui, continue à écrire des odes et des couplets d’opposition à l'Empire, en particulier dans une chanson intitulée ironiquement " Vive Napoléon".
 Après le désastre de Sedan, la République est proclamée le 4 septembre.
Eugène Pottier, membre de la Garde Nationale, fait le coup de feu contre Les Prussiens lors de la Bataille de Champigny.
Mais, bientôt, l’ennemi n’est plus l’envahisseur, ni Badinguet. L'ennemi, c'est le prolétariat révolutionnaire de Paris.
 Il est alors membre du comité de vigilance du 11e arrondissement et participe à la tentative insurrectionnelle du 31 octobre 1870.
 En mars 1871, il accède au Comité central républicain des vingt arrondissements de Paris. Il se prononce pour le ralliement au Comité Central de la garde nationale, et signe, le 23 mars, le manifeste en faveur des élections à la Commune qui fixe le programme de celle-ci.

Il jouera un rôle important dans l’organisation de la Fédération des artistes présidée par Gustave Courbet. Eugène Pottier ne sera élu à la Commune que le 16 avril. Il exercera les fonctions de maire du 2e  arrondissement et il siègera à la Commission des Services publics.
Pottier échappera de justesse à la répression de la Semaine sanglante. C'est sans doute au fait que les Versaillais croit l'avoir exécuté, qu'il doit son salut.

En fait, Pottier se cache dans une mansarde du quartier de la Goutte-d'Or, au 80 rue Myrha , où il écrit, durant le mois de juin, sa première version de "l’Internationale", peut-être, dit-on, sur l’air de la Marseillaise.
Il la  dédie à un membre de l’Internationale, Communard comme lui, le citoyen Gustave Lefrançais.

C'est la lutte finale.
Groupons-nous et demain
L'Internationale
Sera le genre humain.

Debout! l'âme du prolétaire!
Travailleurs, groupons-nous enfin.
Debout! les damnés de la terre!
Debout! les forçats de la faim!
Pour vaincre la misère et l'ombre
Foule esclave, debout! Debout!
C'est nous le droit, c'est nous le nombre:
Nous qui n'étions rien, soyons tout.

Il n'est pas de sauveur suprême:
Ni Dieu, ni César, ni tribun.
Travailleurs sauvons-nous nous-mêmes:
Travaillons au Salut Commun.
Pour que les voleurs rendent gorge,
Pour tirer l'esprit du cachot,
Allumons notre grande forge!
Battons le fer quand il est chaud!

Les rois nous soûlaient de fumée,
Paix entre nous! guerre aux tyrans!
Appliquons la grève aux armées,
Crosse en l'air! et rompons les rangs!
Bandit, prince, exploiteur ou prêtre
Qui vit de l'homme est criminel;
Notre ennemi, c'est notre maître
Voilà le mot d'ordre éternel.

L'engrenage encore va nous tordre;
Le Capital est triomphant;
La mitrailleuse fait de l'ordre
En hachant la femme et l'enfant.
L'Usure folle en ses colères,
Sur nos cadavres calcinés,
Soudée à la grève des Salaires
La grève des assassinés.

Ouvriers, paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs:
La terre n'appartient qu'aux hommes.
L'oisif ira loger ailleurs
C'est de nos chairs qu'ils se repaissent!
Si les corbeaux, si les vautours,
Un de ces matins disparaissent...
La terre tournera toujours.

Qu'enfin le passé s'engloutisse!
Qu'un genre humain transfiguré
Sous le ciel clair de la Justice
Mûrisse avec l'épi doré!
Ne crains plus les nids de chenilles
Qui gâtaient l'arbre et ses produits.
Travail étends sur nos familles
Tes rameaux tout rouges de fruits.

C'est la lutte finale.
Groupons-nous et demain
L'Internationale
Sera le genre humain.

Il parvient à gagner la Belgique, l'Angleterre et Londres. Deux ans passés, il s'embarque pour les Etats-Unis et se fixe à Boston, où il adhère à la Franc-Maçonnerie (Loge des Egalitaires, fondée par les proscrits de la Commune), puis au "Socialistic Labour Party". C'est de là qu'il organise la solidarité au profit des Communards déportés.
Le siège de l'Association Internationale des Travailleurs (1ère Internationale) ayant été, à l'itiative de Marx et Engels, transféré Outre-Atlantique, Pottier fait partie de son Conseil Général, jusqu'à sa dissolution en 1876, à Philadelphie.

 Condamné à mort par contumace, il rentre en France après l’amnistie plénière de 1880, hémiplégique et à bout de ressources.
 Revenu, selon sa propre expression "communiste et anarchiste", il se lance alors dans la lutte sociale et soutient Jules Guesde et Paul Lafargue dans leur volonté de créer un Parti ouvrier français.
 Mais, bien sûr, il reste avant tout, poète. Et s'il célèbre, comme tout chansonnier de cette époque, le vin et l’amour, il exalte surtout l'idéal révolutionnaire. Eveilleur des consciences, artiste engagé au côté des prolétaires, il prône à travers ses poésies et ses chansons politiques, la critique de l'ordre établi et la justice sociale: "Pas de fête sans l'amnistie", "Le chômage", "La crise", "La grève", "En avant la classe ouvrière", "La question sociale",  "L'insurgé".
  Mais, bien que Jules Vallès, dans plusieurs articles, ait attiré l'attention sur lui, comparant son œuvre aux "Châtiments" de Victor Hugo, le vieux poète est bien seul et ne connait qu'un succès d'estime ne dépassant guère un petit cercle d'amis.
Pourtant va se produire un évènement heureux.
Eugène Pottier, qui fréquente les goguettes, les "sociétés chantantes", présente, en 1883, une chanson au concours de l'une d'elle: Il y remporte la médaille d'argent et retrouve, à cette occasion, le chansonnier Gustave Nadaud
Ce dernier, qui admire le talent poétique de Pottier (sans pour autant partager ses opinions), sauve de l'oubli une cinquantaine de chansons de Pottier, en finançant, l'année suivante, l'impression d'un recueil, sous le titre "Quel est le fou ?", pour lequel  il écrira une préface élogieuse se terminant par le distique:
La politique nous sépare 
Et la chanson nous réunit.
 
 "L'Internationale" ne figure pas dans ce recueil car, semble-t-il, elle ne fut écrite, dans sa version finale, que pour le premier numéro du journal bruxellois "L'Insurgé" du 15 mars 1885. C'est aussi cette année-là que, sur un air à la mode ( "T'en fais pas, Nicolas"), Pottier compose une de ses plus belles chansons: 
"Elle n'est pas morte!"


 Mais l'initiative désintéressée de Nadaud a sans doute aiguillonné les amis politiques de Pottier, puisque ses "anciens collègues de la Commune de Paris" publient, en 1887,(avec une préface de Henri Rochefort), ses "Chants révolutionnaires", recueil qui contient (enfin!) une "Internationale" que personne (ou presque) ne connait...encore! Et que, sans doute, personne, n'aurait jamais connu sans Gustave Nadaud et un fameux concours de circonstances....

Debout ! les damnés de la terre !
Debout ! les forçats de la faim !
La raison tonne en son cratère,
C’est l’éruption de la fin.
Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout ! debout !
Le monde va changer de base :
Nous ne sommes rien, soyons tout !

C’est la lutte finale
Groupons-nous, et demain,
L’Internationale,
Sera le genre humain.

Il n’est pas de sauveurs suprêmes,
Ni Dieu, ni César, ni tribun,
Producteurs sauvons-nous nous-mêmes !
Décrétons le salut commun !
Pour que le voleur rende gorge,
Pour tirer l’esprit du cachot,
Soufflons nous-mêmes notre forge,
Battons le fer quand il est chaud !
 
 C’est la lutte finale
Groupons-nous, et demain,
L’Internationale,
Sera le genre humain.


L’État comprime et la loi triche,
L’impôt saigne le malheureux ;
Nul devoir ne s’impose au riche,
Le droit du pauvre est un mot creux.
C’est assez languir en tutelle,
L’égalité veut d’autres lois :
« Pas de droits sans devoirs, dit-elle,
Égaux, pas de devoirs sans droits ! »

C’est la lutte finale
Groupons-nous, et demain,
L’Internationale,
Sera le genre humain.

Hideux dans leur apothéose,
Les rois de la mine et du rail,
Ont-ils jamais fait autre chose,
Que dévaliser le travail ?
Dans les coffres-forts de la bande,
Ce qu’il a créé s’est fondu.
En décrétant qu’on le lui rende,
Le peuple ne veut que son dû.
   
C’est la lutte finale
Groupons-nous, et demain,
L’Internationale,
Sera le genre humain.
 
Les Rois nous saoulaient de fumées,
Paix entre nous, guerre aux tyrans !
Appliquons la grève aux armées,
Crosse en l’air et rompons les rangs !
S’ils s’obstinent, ces cannibales,
A faire de nous des héros,
Ils sauront bientôt que nos balles
Sont pour nos propres généraux.
   
C’est la lutte finale
Groupons-nous, et demain,
L’Internationale,
Sera le genre humain.

Ouvriers, Paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs ;
La terre n’appartient qu’aux hommes,
L'oisif ira loger ailleurs.
Combien de nos chairs se repaissent !
Mais si les corbeaux, les vautours,
Un de ces matins disparaissent,
Le soleil brillera toujours !
 
 C’est la lutte finale
Groupons-nous, et demain,
L’Internationale,
Sera le genre humain.


Il était temps de rendre enfin justice à l'auteur....
Car Pottier est au bout du chemin.
 Il s'éteint le 8 novembre 1887, au cinquième étage de son humble logement au n° 2 de la rue de Chartres, dans le 18e arrondissement.
 Comme pour Jules Vallès, deux ans plus tôt, ses obsèques seront l'occasion d'une grandiose manifestation.
 On plaça sur le cercueil son écharpe de membre de la Commune et des milliers de personnes l’accompagneront au Père-Lachaise
Lorsque les forces de l'ordre, sabre au clair, voudront s’emparer d’un drapeau rouge, de violentes bagarres éclateront devant la maison mortuaire et, plus tard, au cimetière .
Cette cérémonie et celles qui se multiplièrent en son honneur furent toutes accompagnées par  les couplets de "La Carmagnole".
 Louise Michel lui rendra hommage :
Mirliton, crécelle ou pipeau 
Il fut broyé dans la tempête
Ci-gît Popo, le vieux Popo 
Ci-gît Popo, le vieux poète. 



Cette cérémonie et celles qui se multiplièrent en son honneur furent toutes accompagnées par  les couplets de "La Carmagnole".
Car " la fille" de Pottier n'a pas encore trouvée sa musique. 
Mais cela ne tardera pas, car dès la parution du poème, un professeur de musique de Lille, Charles Gros, (également poète et auteur de "la Marche du Premier Mai"), séduit par le texte de Pottier, le communique à la section Lilloise du Parti Ouvrier. Le maire de la ville, le socialiste Gustave Delory, saisit par le souffle du poème, demande à l'ouvrier Pierre Degeyter de la mettre en musique et suggère à la "Lyre des Travailleurs", société musicale lilloise de l'inscrire à son répertoire.

Mais ceci est le début d'une autre histoire....( voir "L'internationale", la fille...)

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(*): dixit E. Pottier, dans sa demande d’admission à la loge maçonnique des Egalitaires de New York, en 1875. Il poursuit : « À l’école des frères jusqu’à dix ans, et à l’école primaire jusqu’à douze ans, c’est à mes lectures de jeune homme que je dois d’être sorti de cette double ornière sans m’y embourber ».
 (*)Beranger Pierre Jean de (1780-1857). A ne pas confondre avec François (1937-2003)! (voir plus loin)
(**): Comme quoi on est toujours l'arabe de quelqu'un. 
(***): 40 000 Républicains seront arrêtés et condamnés. Une partie d’entre eux seront déportés dans les
deux bagnes de Lambèze, en Algérie, et de Cayenne, en Guyane.
(****): C'est cette dernière version qui sera mise en musique par Pierre Degeyter.








(Merci à  Jacques Caucheron in n°9  Revue "Commune")
(Merci à Dominique Bègles in "l'Humanité")
(merci à wikipedia) (merci à Robert Brécy et son florilège de la chanson révolutionnaire)
(Merci à Jesús Cuenca de la Rosa)




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