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lundi 9 janvier 2012

L'INTERNATIONALE ( La fille...)






 L'INTERNATIONALE
(.....La fille!)

Eugène Pottier n’a donc pas eu la chance d'entendre chanter son texte, puisque son "Internationale" n’avait pas encore de musique, à la date de sa mort, en 1887.

En effet, c'est un an plus tard, en que l'ouvrier Pierre Degeyter, compositeur amateur, qui  souhaite renouveler le répertoire de sa chorale,  "La Lyre des Travailleurs" (chorale de la section lilloise du Parti ouvrier français (guesdiste)), entreprend de mettre une musique sur le texte du poème de Pottier.
Pierre Degeyter est né à Gand, le 8 octobre 1848. Il travaille dès l'age de 9 ans dans une usine de Lille, où ses parents, ouvriers, sont venus se fixer.
Pierre n'est donc pas un musicien professionnel mais, parallèlement à son travail, il a suivi les cours de l'Académie de Musique de Lille. Il y a d'ailleurs obtenu, en 1886, un prix pour instrument à vent. Membre de la "Lyre des Travailleurs", il y joue de plusieurs instruments.



 Le 23 juin 1888,  après avoir essayé son oeuvre devant un premier auditoire: ses compagnons de travail, les ouvriers de l'usine de Fives et du quartier St-Sauveur, Pierre Degeyter l'interprète, pour la première fois en public, lors d'une fête du Parti Ouvrier, à la tête de la "Lyre des Travailleurs".
Son frère Adolphe, baryton réputé dans les concerts militants, la chantera pour la première fois, en juillet 1888, lors d’une fête organisée à Lille, par la Chambre syndicale des marchands de journaux.

Cette même année, La Lyre, désireuse de répandre "L'internationale",  décida de l’impression de 6.000 exemplaires, paroles et musique, chez Boldoduc, l’éditeur des productions de Pierre Degeyter. Il ne reste plus qu'un seul exemplaire connu de cette édition, qui comporte le nom des auteurs, Pottier et Degeyter, mais ne mentionne pas le prénom de ce dernier. Il était, en effet entendu qu’on mettrait comme auteur de la musique, seulement le nom seul de Degeyter, sans mention du prénom, afin de préserver un certain "anonymat" autour de Pierre, et le protéger d'éventuelles représailles.


Mais cette absence de prénom dans l’édition primitive et dans les éditions suivantes, combinée, comme on va le voir, à de mesquins conflits d'intérêt, sera le point de départ du litige qui opposera Pierre et Adolphe pendant plus d'un quart de siècle.
 Et pourtant, cette  précaution ne protégea en rien Pierre Degeyter de la répression patronale. Marqué au crayon rouge et boycotté partout dans la région, il en fut réduit à travailler à son compte dans la menuiserie et se faisant fabricant de caisses, de comptoirs et même de cercueils. 
Continuant néanmoins à militer, s'il vendait lui-même l’Internationale, ce n'était pas pour en tirer profit, mais pour accroître les ressources du P.O.F. 
Il quitte ce Parti, délaissé par ses anciens camarades, et poursuivi par l'animosité du maire de Lille.
C'est cette rancune qui alimentera fondamentalement le conflit qui met aux prises les deux frères. Delory, député-maire, conseiller général, est en position favorable pour obtenir de nombreux témoignages à l'appui de la thèse accordant la paternité de la musique de l’Internationale à Adolphe Degeyter.
Cette thèse est  très intéressante pour l’imprimerie de la section lilloise du P.O.F., éditrice de la chanson et détentrice du monopole d'expoitation. De plus, Delory avait obtenu d’Adolphe, son employé puisque travailleur municipal, une déclaration affirmant formellement qu’il était bien l’auteur de la musique de la chanson.
 Il était d'autant plus aisé, pour Delory, d'organiser le complot, que Pierre Degeyter n'était plus sur place pour se défendre et rétablir la vérité. Depuis 1901, il s'est fixé, en banlieue parisienne, au 2 rue de l'Alouette à Saint-Denis, avec sa femme et sa fille.
 Pierre, qui peut exhiber la partition originale authentique, saisit la justice, mais celle-ci le déboute le 17 janvier 1914. Il interjette  appel, mais la guerre survient, le Nord de la France est occupé et l’affaire reste en suspens.
Demeuré dans Lille occupée par les Allemands, Adolphe Degeyter est affaibli par la maladie, victime de représailles pour son refus de travailler pour l’armée d’occupation. Il met fin à ses jours, le 12 février 1916. Mais, un an avant son suicide, il avait pris soin d’écrire à son frère Pierre une lettre, où il lui avouait son imposture, qu'il imputait à sa pusillanimité et sa subordination obligée  à son patron, le maire de Lille.
En voici la transcription, respectant l'orthographe défectueuse d'Adolphe:

 « lille le 27 avril 1915.

« cher frère (d)ans la térible tourmente que nous traversons ne chachan comment ce la fira je Remai a ton Beau frère dubart cette letre la decaration que j aurai faite moi même si je devai venir a Paris au moment de ton appel
voci
« je n’ai jamès fait de Musique encore moin l’internationale si j’ai signe une feuil elle a été Préparer Par delory qui ma venu trouver a l’atelier comme tu sai que je travaillier Pour la Pour la ville et delory etant Maire je nosés Rien lui Refuser. Par crinte de Renvoi et comme tu avez dit que tu avez signé la Musique de l internationale de Degeyter si cela Pouvez nous servir a quelque chausse que cétait a nous.
Je n ai Pa cru ton Mal faire en signan ce Papier et encor il ne ma Pas dit Pour quoi cétai faire.
Si je t’ecrit cela cest Par ce que lon ne sai Pa ce qui peu arrivé.
Ne menveu Pa Pour cela si je Pouvez te le remètre moi même je serai Bien heureux
Aphe De Geyter. »

 Tenant compte de ce fait nouveau, la Cour d'Appel de Paris infirmera et mettra un point final à l'affaire le 23 novembre 1922, en faveur de Pierre, et ce n'est qu'à 75 ans que ce dernier pourra enfin se déclarer légitime compositeur de la mélodie.




Entre temps, l'hymne, paré de la musique de Degeyter, à fait son chemin vers la célébrité, au gré des manifestations, du bouche à oreille et des publications, mais pas aussi rapidement qu'on pourrait l'imaginer.
Si, au début des années 90, la propagande par la chanson est en vogue, en particulier dans les milieux anarchistes, on chantait surtout la Carmagnole, le Père Peinard ou l’Hymne à l’Anarchie
Ce furent des "gueules noires" du Nord qui firent connaître " l’Internationale" à une Louise Michel, émue aux larmes, en l'accompagnant à travers un coron, un soir de réunion.
Et pourtant, dès 1891, au siège de "la Révolte", organe anarchiste, on pouvait la trouver pour dix centimes parmi les « chansons en musique ».

Elle est publiée dans le n°8 du journal "L’Agitateur" du 17/24 avril 1892, avec quelques variantes pour adapter le texte à la ligne anarchiste du journal.
Deux nouvelles éditions, en 1894 et 1898, donneront à la partition sa forme définitive, celle que Degeyter a confirmée dans son dépôt à la SACEM, le 8 mars 1926, à la fin de son procès.
Blanquistes et Guesdistes la chanteront ensemble, en juillet 1899, à l’occasion du premier Congrès général des organisations socialistes.

Le 8 octobre 1893, à Saint-Quentin, pendant la réunion publique qui clôtura le XIe congrès de P.O.S.R. (Parti Ouvrier Socialiste Révolutionnaire – fraction allemaniste), l’Internationale fut chantée en chœur par les camarades de la Lyre des Travailleurs, mais pas reprise en choeur par l'assemblée, preuve que le chant n’était pas encore parvenu au succès dans la région.
D'ailleurs, à cette même réunion, J.-B. Clément, prophétisant dans son discours, une classe ouvrière victorieuse pour peu qu’elle sache tirer parti de sa puissance numérique, avait déclaré: « ne pourrions-nous pas nous donner la main et chanter la Carmagnole, en dansant en rond autour des bourgeois, mais en ayant soin, à chaque couplet, de rétrécir le cercle pour qu’à la fin, il ne reste plus rien de ces parasites ».
 Cette évocation de la seule  Carmagnole par le chansonnier socialiste est significative, car Clément connaissait "L'internationale" et, de surcroît, appréciait les chants de Pottier, dans lesquels, écrivait-il, le sentiment de l’émancipation « est exprimé de main-de-maître » . C’est seulement en 1900, dans l’avant-propos de son petit recueil de chansons, publié par la « Bibliothèque ouvrière socialiste », que l’auteur du Temps des Cerises, évoquant la Marseillaise, contribution à « l’émancipation de la classe bourgeoise », lui opposera « l’Internationale d’Eugène Pottier qui sonne mal aux oreilles de la bourgeoisie.»

Il est vrai que la chanson est intolérable pour la classe possédante et bien pensante,  le clergé et l'armée. Et c'est pourquoi elle sera l'objet d'une sévère répression.
C'est ainsi qu'Armand Gosselin, ancien instituteur et secrétaire de la mairie de Caudry (Nord), qui a publié en 1894 une édition populaire de l’Internationale, destinée à ses camarades du P.O.F du Cambrésis, est poursuivi, sous l’accusation de "provocation au meurtre et d’excitation de militaires à la désobéissance" en raison du 5ème couplet, celui des généraux.
Bien que ce couplet ait déjà figuré dans les précédentes éditions de l’Internationale sans avoir donner lieu à poursuites, Gosselin sera renvoyé devant la Cour d’Assises de Douai et condamné à 100 francs d’amende et à un an de prison ferme. Peine qu'il accomplira à la maison d’arrêt de Valenciennes.
Pour preuve du poids de la répression, l’"Almanach socialiste illustré pour 1896", édité par la Petite République, reproduit l’Internationale, mais sans le couplet incriminé, par crainte des poursuites judiciaires. A noter que ce n’est pas l’Internationale telle que nous la connaissons qui est reproduite, celle qui passera à l’immortalité. C’est une autre version, avec la musique du compositeur P. Forest. (* -voir plus loin)

Au début de 1896, il est clair que l’Internationale n’est guère connue que dans le Nord, et plus particulièrement chez les Guesdites, dont elle est le chant préféré.
C'est en juillet de la même année, à l’occasion du XIVe Congrès du P.O.F. qui se tient à l'Hôtel de Ville de Lille, devant  une forte délégation internationale, comprenant notamment de la Social-Démocratie allemande dont le vieux Liebknecht, 
 C'est le 23 juillet, dans la rue, comme il convient à un chant de combat, que l’hymne de Pottier conquiert sa place parmi les chants révolutionnaires, quand ses accents surgissent  du sein de la riposte ouvrière à une contre-manifestation nationaliste.

 Les 200 délégués du congrès, qui pour la plupart ne la connaissaient pas et qui l’entendirent ce jour là,  au cours de l’échauffourée, reprise cent fois par les ouvriers, en apprécièrent le rythme et les accents entraînants, l'esprit de classe des paroles si net.  Ils eurent tôt fait d'en apprendre et d'en répéter le refrain,,
 Ils s’en procurèrent des exemplaires et firent connaître, de retour dans leur pays, le chant qui avait permis au prolétariat lillois de culbuter la manifestation réactionnaire, qui s'était mobilisée contre le socialisme international.
De plus en s’affirmant contre la Marseillaise, encore vantée par Guesde deux ans auparavant, que l’Internationale prendra son essor dans le Parti Ouvrier Français.

A partir du Congrès de Lille, l’Internationale se répand. Mais on ne la chante encore que dans les réunions, les manifestations ou les localités placées sous l’influence du P. O. F.
Il lui faudra une nouvelle occasion pour gagner cette fois toute la classe ouvrière de France.

Cette occasion lui sera donnée par le "premier congrès général des organisations socialistes françaises" qui se tînt, salle Japy, du 3 au 8 décembre 1899. Il y avait là,  s’affrontant violemment dans des débats très orageux, plus de 800 délégués mandatés par 1400 groupements de toutes les courants socialistes, syndicaux et coopératifs. Les deux thèses principales s'opposaient sur la question de la participation ministérielle . Au cours d’une séance tumultueuse, on vit toute une fraction du congrès s’avancer menaçante vers les guesdistes et les blanquistes qui ripostèrent en chantant, (debouts...! )l’Internationale.
Paradoxalement, ce fut donc sous le signe de la division socialiste que ce chant d’union par excellence, se fit entendre  des congressistes.A cette époque, où "La Marseillaise", qui tend à devenir " l’hymne officiel de la bourgeoisie dirigeante", est peu à peu abandonnée du prolétariat,  l’Internationale, encore peu connue et chantée par les seuls Guesdistes, les autres fractions socialistes chantant en général la Carmagnole, c’est donc aussi sous le signe de la tendance sectaire, que l’Internationale fait ainsi son apparition à Japy.




Mais au dernier jour du congrès, l’union et la concorde prévalent, et dans un enthousiasme général. L’Internationale réapparait, mais cette fois sous le signe de l’union, en conformité avec l’esprit qui l’anime.


 A l’issue du congrès, au moment où le président va
Le gymnase Japy de nos jours
 prononcer la clôture, tandis que tous les chefs des courants socialistes se tiennent par la main sur l’estrade, un Guesdiste, Henri Ghesquière,
délégué du Nord,  monte à la tribune et entonne l’Insurgé, la Commune et l’Internationale. La salle entière, enthousiaste, reprend le refrain. Puis les délégués font le tour de la salle, derrière leurs bannières et leurs drapeaux déployés.


 Léon Blum, présent au congrès, relatant cet épisode enthousiasmant, dira : « La large mélopée éclatait sur des notes imprévues », ce dernier épithète faisant parfaitement sentir combien, à l'époque, "L’Internationale" restait ignorée des militants socialistes, en dehors de ceux du P.O.F.

Après ce triomphe, le succès de l'hymne de Pottier et Degeyter, qui a conquis  les militants de toutes les fractions du prolétariat français, est désormais assuré.


Mais c'est bien de là qu’on peut dater  l’essor final de l’hymne prolétarien.
Toute la France et le monde entier vont bientôt le connaître, pour l’aimer ou le détester, l'espérer ou le craindre.


C’est à la même époque qu’Aristide Jobert,  futur député de l'Yonne et directeur du journal "Le Travailliste", apprenait l’Internationale aux Parisiens fréquentant la Maison du Peuple de l’impasse Pers, rue Ramey. La chorale socialiste qu’il dirigeait, la chantait avec l’addition d’une partie pour voix de basse au refrain.


A,la fin de 1901, Montéhus chante pour la première fois" L’Internationale" sur une scène de théâtre.
C'est au "Théatre des Ambassadeurs", sur les Champs Elysées. Il provoque un scandale dans les journaux réactionnaires, en particuler dans "la libre parole" de Drumont, dont les partisans provoquent des rixes en distribuant des tracts dénonçant "le juif Brunswick" qui "éructe des infamies à l'adresse des chefs de l'armée française".
Comme à plusieurs reprises, pendant les ministères Waldeck-Rousseau et Combes (1899 à 1905), des ministres, dont Pelletan, alors ministre de la Marine, sont accueillis aux accents de "l’Internationale", chacun de ces incidents est monté en épingle par la presse de droite, pour faire un épouvantail de l'hymne de Pottier-Degeyter. 
 Ce faisant, cette presse lui  fit à " l’Internationale" une publicité bien involontaire, mais combien efficace, et dont on peut donc dire qu'elle lui  facilita la conquête des masses. Car, dès lors, on ne put passer sous silence ce chant qui faisait tant de bruit....

On peut dire qu’en France, depuis le Congrès de Japy,  la plupart des congrès ouvriers et socialistes furent marqués par le chant de l’Internationale.
A la fin du Congrès corporatif de Lyon, le 29 septembre 1901, au Congrès de Montpellier (1902), au fameux Congrès d’Amiens (1904), ainsi qu'à Reims, à la soirée familiale du Congrès de la Fédération du Verre, en présence de Jehan Rictus.
.En juillet 1902, elle sera chantée et jouée en même temps, toujours à Lille et toujours au Congrès du Parti ouvrier et traduite en russe.
Enfin, en 1910, au Congrès International de Copenhague, des versions multiples des versions multiples circulent, parmi les délégués, dans une grande quantité de langues. Cinq cents musiciens et choristes consacrent une puissante "Internationale", qui fera dire à Jules Guesde, présent, : "Si le pauvre Pottier vivait encore, comme il serait heureux..."

 A partir des années 10, le contexte international s'assombrit. La guerre menace.
Le 17 novembre 1912, L'Internationale Ouvrière appelle ses sections à une mobilisation exceptionnelle contre les dangers de la guerre.
Rompant avec ses traditions de rassemblement en espace clos et s'inspirant des réunions allemandes ou anglaises, effectuées en plein-air, comme au Treptower Park de Berlin ou à Trafalgar Square ou Hyde Park à Londres, les organisteurs envisagent, faute de disposer de terrain idoine "intra-muros", de se réunir au pré-Saint-Gervais, sur la Butte du Chapeau Rouge, vaste terrain dégagé s'étendant devant les "fortifs".
Le succès est au rendez-vous. Ce meeting réunit 14000 personnes ( selon la police...!!!).
 Le 9 mars le gouvernement dépose un projet de loi qui prévoit d'étendre la durée du service militaire à trois ans. Le vote de la loi est prévue pour le 16 juillet.
De mars à juillet, le 16 mars, le 25 mai, le 13 juillet 1913, trois considérables manifestations contre ce projet de loi vont se succéder sur la Butte du Chapeau-Rouge.
Les quatre rassemblements qui se sont succédé de 1912 à 1913 se sont déroulés sensiblement de la même manière.
L'harmonie de "La Bataille Syndicale" exécute "l'Internationale" pour marquer  le début du rassemblement. La foule se masse autour des tribunes, s'efforçant, tant bien que mal, de s'approcher de celle où Jaurès doit parler. C'est ce même orchestre qui signifiera, de la même façon, la dislocation de la manifestation.
Un nouveau rassemblement avait été prévu, sinistre ironie de l'Histoire, le 4 août  1914, à l'endroit même où Jean Jaurès "avait été emporté par la foule dans une espèce d'élan qui le plaçait au sommet de l'Histoire, à ce poste qu'il n'a quitté que pour mourir" (Louis Aragon in "Les beaux quartiers").
"Nous n'irons plus au bois...". En tout cas, pour quelques années, nul n'ira plus au Pré...

Comme un dernier chant du cygne, c'est encore le chant de Pottier qui clôturera les débats (mais, hélas, pas que les débats) du XIe Congrès national du Parti socialiste unifié, tenu à Amiens, en janvier 1914.....

Chacun sent bien que la bataille de la paix a été perdue.



Le 28 juin, François-Ferdinand est assassiné à Sarajevo...
Le 31 juillet, ce sera le tour de Jaurès, au café du Croissant...
A partir du 4 aout, pendant 52 mois, 20 millions d'êtres humains se feront assassiner.


Le 27 juillet, sur les grands boulevards, à l'appel de  la CGT, devant le journal "Le Matin",  avait eu lieu une manifestation contre la guerre, qui avait réuni 25000 manifestants.

"L'Humanité" du mardi 28 juillet 1914
Pour "L'Internationale", hymne de Pottier-Degeyter, ce sera la  grande dernière de l'avant-cataclysme......
Pour "L'Internationale", organisation des travailleurs, ....aussi!
Car, les partis sociaux-démocrates s'étant tous majoritairement résignés à la guerre, la Deuxième Internationale va se désagrèger.
Dès le début du conflit, la CGT se rallie à l'Union Sacrée. Ralliement confirmé majoritairement, lors du Conseil national de la CGT, tenu du 26 novembre au 5 décembre.
Les Confédérations des autres pays belligérants, membres de la FSI, se rallient également à la politique de leur gouvernement. Le siège de la FSI est déménagé de Berlin à Amsterdam, en pays neutre.


"On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels. (Anatole France, 1901, in "Monsieur Bergeret à Paris")


Le temps de la guerre marque, en même temps que l’effondrement des organisations ouvrières, une éclipse de l’Internationale.


La Marseillaise, pourtant si décriée jusque-là dans le prolétariat, puisqu’on la jouait officiellement  à toute occasion, y compris les concours de boules et de tir à la corde, fut, pour ainsi dire, découverte à nouveau. Celles de ses paroles qui apparaissaient, en temps de paix, comme excessives,  prirent,hélas, leur véritable signification à la lumière de l'incendie, face au fracas des obus, face au déchaînement des plus sauvages instincts. Pourtant au bout du tunnel, on s'apercevra que, plutôt  que "La Marseillaise", c'est, tout prosaïquement, la banale et triviale "Madelon" qui aura eu les faveurs les "Poilus"


"L'Internationale", quant à elle, remisée au fond des poitrines et des consciences, ne ré-apparaitra qu'à certaines occasions explosives. Ce statut clandestin, qui la fera sortir des congrès et des meetings, pour rejoindre les luttes concrètes sur le terrain, lui donnera une nouvelle légitimité.

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Partie en chantier


Si la classe ouvrière ne s’était pas opposée ouvertement à la guerre,  le Pouvoir connaissait néanmoins les sentiments antimilitaristes et pacifistes de cette alliée peu fiable. Les gouvernements d'Union Sacrée, auxquels la SFIO participa jusqu’en septembre 1917, firent en sorte de ne pas trop malmener les ouvriers, afin que, suivant les mots d’ordre de leurs organisations, ils participent à l’effort de guerre. Dès juin 1915, 500 000 ouvriers sont retirés du front : 350 000 envoyés dans les usines d’armement, 150 000 dans les mines et la métallurgie. Fin 1917, sur les 900 000 ouvriers restés sous l’uniforme, 700 000 étaient affectés dans les armes « mécaniques » (artillerie, train, aviation, chars, génie...) en raison de leurs compétences techniques, et 200 000 seulement dans « La biffe », l’infanterie combattante, le lieu de toutes les souffrances et de tous les dangers, qui constituait les 3/4 du corps de bataille.
Dans les tranchées, les "biffins", fantassins "du rang" qui (sur)vivaient dans des conditions inhumaines, subissaient des taux de pertes 4 fois supérieurs à ceux des autres armes.  80% d'entre-eux étaient des paysans. La bourgeoisie s’était organisée pour faire payer le plus cher du conflit à une classe politiquement inorganisée, et donc incapable de se défendre.


A "l'arrière", la résistance à la guerre se limite à quelques militants pacifistes distribuant des tracts aux permissionnaires dans les gares, à quelques réseaux de soutien aux insoumis, réfractaires ou déserteurs.
A partir de 1917, un mouvement de grèves ouvrières se répand dans tous les secteurs, y compris les industries de guerre. Mais les revendications, partout identiques, ne sont pas pacifistes mais essentiellement à caractère salarial.
Si les « midinettes » parisiennes en grève manifestent, le 11 mai 1917, ( deux semaines seulement après l’hécatombe du Chemin des Dames), c'est pour obtenir une indemnité de vie chère et le repos du samedi après-midi, et non pour réclamer la fin de la guerre. La seule grande grève ouvertement contre la guerre (d'ailleurs condamnée par la CGT et par la SFIO ) ne débuta que le 13 mai 1918 à Billancourt,   pour s’opposer au renvoi au front des jeunes ouvriers mobilisés chez Renault.

 "L'Internationale", quant à elle, remisée au fond des poitrines et des consciences, ne ré-apparaitra qu'à certaines occasions explosives. Ce statut clandestin, qui la fera sortir des congrès et des meetings, pour rejoindre les luttes concrètes sur le terrain, lui donnera une nouvelle légitimité


Au printemps 1917, après la bataille du Chemin des Dames, un nouveau climat s'instaure chez les soldats.  Pour la première fois depuis que la guerre a éclaté, voila deux ans et demi,  et qu'ils sont traités comme de la chair à canon, des hommes se lèvent pour dénoncer l'horreur de la guerre et du front, des hommes, poussés par le désespoir, refusent de sortir des tranchées, abandonnent leurs postes ou rompent les rangs,  ils ne veulent plus mourir pour rien.
Harassé, usé, meurtri, le soldat relève enfin  la tête,  et retrouve sa dignité ...Celle de l'Homme en révolte ouverte contre l'autorité. Aux yeux de laquelle, il devient " le mutin".
Et de la  poitrine du mutin, jaillit spontanément le chant de Pottier-Degeyter, refoulé depuis tant de mois.
On entend "L'internationale" en maints endroits du front....
 Non en première ligne, où le danger prime, mais dans les cantonnements de l'arrière, de mai à juin, dans le Tardenois, le Soissonnais, puis le phénomène s'étend vers l'est vers la Champagne et l'Argonne.

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Pour tenter de mettre un terme à la Révolution d'Octobre, les vainqueurs de la guerre, dont la France et la Grand-Bretagne, décident d'envoyer un corps expéditionnaire en Russie, pour soutenir les armées "blanches" qui se battent contre le pouvoir bolchévik. Fin 1918, un mois après l'armistice, des troupes françaises débarquent à Sébastopol et à Odessa. Les soldats et marins sont mécontents de devoir "remettre çà", la guerre à peine terminée, et qui plus est, contre la "république des Soviets". Car ces derniers bénéficient de nombreuses sympathies dans les classes populaires occidentales.
Entre janvier et avril1919, plusieurs régiments refusent de marcher ou de combattre. La révolte gagne la marine. Une mutinerie éclate , à bord du cuirassé France, et s'étend dès le lendemain à bord de plusieurs autres navires de la flotte française. Des marins chantent l'Internationale, hissent le drapeau rouge, crient « À Toulon !  À Toulon ! », chassent leurs officiers.Renouant avec leurs aînés du Potemkine, ils quittent leurs navires, défilent crosse en l'air et fraternisent avec la population. Le mouvement s'étend aux marins et soldats des autres pays qui participent à ce corps expéditionnaire. Cette révolte, conduite entre autres par les marins André Marty et Charles Tillon, ne sera pas pour rien dans l'arrêt de l'intervention étrangère en URSS.
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Le conflit mondial ayant pris fin, "L'Internationale" revient "officiellement" dans la lumière
L’hymne de la IIe Internationale, qui avait gagné progressivement le mouvement ouvrier mondial, n'a pas sombré avec elle. Il est même passé au rang de mythe symbolique, en devenant,  dès janvier 1918, l'hymne du premier État à se réclamer de l’idéal socialiste et prolétarien. 
 Il y aura des versions  dans les langues de toutes les nations, particulièrement dans celles représentées au  Komintern.

Du 25 au 29 décembre 1920, se tient à Tours, dans la salle du Manège, le XVIIIème Congrès du Parti Socialiste Unifié. La majorité des 285 délégués vote l'adhésion du Parti à la IIIème Internationale, et sa transformation en Parti Communiste. Pierre Degeyter est de ceux-là.
Marcel Cachin au Congrès de Tours
Le 21 janvier 1924, Lénine meurt à Gorki. Le 27, les travailleurs de France se rassemblent à Saint-Denis, pour lui rendre un dernier hommage. Le directeur de "L'Humanité", Marcel Cachin, est à la tribune, le Dyonisien Pierre Degeyter est à ses côtés. En 1928, il est invité à Moscou pour le Congrès De l'Internationale Communiste qui lui rendra un solennel hommage. Il meurt le 26 septembre 1932, à Saint-Denis.


Les années 30 et la montée des fascismes...

Après les sanglantes journées de février 1934, Aragon salue, dans un poème " l’Internationale contre la Marseillaise" .
 "Marseillaise"  qu'il renvoie à la poubelle de l'Histoire.....

Cède le pas ô Marseillaise
A l’Internationale, car voici
l’octobre où sombrent tes derniers accents.
Aux armes citoyens !
Qui parle ? Des généraux, des marchands, la police.
Formez vos bataillons !
Nous vous connaissons gendarmes !
Marchons, marchons ! eh bien, qu’ils marchent
Nous les attendons, camarades,
Vous êtes tous des ouvriers, des paysans, des travailleurs.
C’est contre vous, c’est contre nous qu’ils vont, qu’ils marchent.
Soyons unis. Comment auraient-ils assez de balles pour nous tous ?
Et nous pouvons prendre les arsenaux et les armureries.
Soyons unis dans l’action : pas de pitié.
Ils reviendront toujours plus forts. Vous souvient-il
Comment ils ont tué Sabattier ?
Soyons unis : les voilà. Que chantent-ils les vaches ?
Qu’un sang impur
Abreuve nos sillons.
On va bien voir lequel est le plus rouge,
Du sang du bourgeois ou du sang de l’ouvrier.
Debout !
Peuple travailleur.
Debout !
Les damnés de la terre.

  Voila qui tranche (c'est bien le mot...) tout net avec le discours que Jacques Duclos tient un an plus tard, le 14 juillet 1935, dans lequel il revendique, pour la classe ouvrière, le double héritage de 1789 et de 1917, du drapeau tricolore et du drapeau rouge, de la Marseillaise et de l'Internationale.
 C'est que le Parti Communiste accomplit à cette époque une sévère remise en cause de sa ligne politique.
Depuis 1924, suivant en cela les directives du Komintern, il avait suivi une ligne sectaire dite « Classe contre Classe », excluant toute alliance avec les partis « bourgeois », y compris la SFIO. Cette politique l'avait conduit à un désaveu de la classe ouvrière et à un grave échec électoral, suivis d' une crise profonde à la Direction du PCF en 1930-1931.
 Avec la montée du fascisme en Europe, la prise du pouvoir par Hitler et les événements de 1934 en France, L'URSS opère un revirement complet de sa politique extérieure. Ce qui amène l’Internationale Communiste  à préconiser une nouvelle ligne moins sectaire.
Maurice Thorez, alors jeune secrétaire à l'organisation, dénonce l'existence d'une fraction à la tête du Parti, dont il parvient à prendre les rênes en 1934, après avoir évincé Jacques Doriot.
 Maurice Thorez, assisté de Jacques Duclos et de Benoît Frachon a alors les mains libres pour mettre en œuvre cette nouvelle ligne.
Pour les plus lucides (ou les moins amnésiques...), le ralliement au chant de Rouget de Lisle prend la valeur d’un symptôme tout à fait alarmant, car "La Marseillaise" devient le ciment entre la classe ouvrière et la bourgeoisie, annonciatrice d'une nouvelle boucherie, encore plus sanglante que la précédente. Sans doute pressentent-ils qu'elle exigera la mobilisation de toutes les forces du pays, y compris de son prolétariat.
Pour l'heure, en France, c'est l'avènement du Front Populaire. Et c’est au chant de "L'Internationale", mélangé,  il est vrai au chant de " La Marseillaise", qu’au cours de manifestations imposantes, que les millions de partisans du "Front Popu" défilent sur les pavés de nos villes. Et on verra les éternels frères ennemis, anarchistes, socialistes, communistes, (Ô apothéose de l'hymne ouvrier!) la chanter à l’unisson toutes tendances confondues.

En Espagne, c’est le 17 juillet 1936 au soir, que parviennent à Madrid,  les premières nouvelles du soulèvement de Franco, contre le gouvernement du "Frente popular", légalement élu le 16 février précédent.

À l’automne, les Brigades Internationales arrivent en Espagne. Elles y resteront jusqu'en 1938, concrétisant l'Internationalisme, par leurs armes et par leur sang versé.  Et c’est, bien évidemment,  au chant de l’Internationale, dans une dizaine de langues différentes, qu'elles partent au combat.
Elle devient donc, très naturellement, nouvelle Marseillaise des volontaires d'un nouveau 93, le chant de ralliement à la République.
Là encore, socialistes, anarchistes, communistes, républicains, se disputeront la chanson. Et ses paroles connaîtront des versions différentes en fonction des vues politiques, stratégiques ou idéologiques de chaque tendance.
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Partie en chantier

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 Jusqu'en 1944, l'hymne soviétique restera l'Internationale. Cependant,  en pleine guerre contre le nazisme, Staline décide de doter le pays d'un nouvel hymne. Décision qui s'inscrit dans la nécessité de mobiliser le sentiment patriotique et nationaliste des Russes et des Soviétiques, face à l'invasion étrangère. Staline choisit une musique d'Alexandre Alexandrov (le fondateur des choeurs de l'Armée rouge) et les paroles du poète Sergueï Mikhalkov.

Après 1945, l'Histoire mondiale est dominée par la lutte anticolonialiste, et les peuples concernés chantent une "Internationale" aux accents tiers-mondistes.

Lorsqu'en 1966, la  science soviétique réussit à envoyer sur la Lune le premier engin spatial, c'est le son de L'Internationale qui retentit sur notre satellite.


Le mythe de la"Patrie du Socialisme", déja bien dégradé, décline jusqu’à son effondrement total.
Le 25 décembre 1991, le drapeau rouge est descendu des tours du Kremlin.
Mais l'Internationale demeure, partout à travers le monde, le chant des opprimés.
Le proscrit, au plus bas, qui se terrait dans Paris en pleine répression, recherché par les Versaillais, mais trouvant néanmoins la force morale et l'inspiration pour écrire un poème à la gloire de "l'Internationale, pouvait-il imaginer que le monde entier entendrai un jour ces paroles prophétiques?



En 1927, Pierre Degeyter part en délégation à Moscou, pour les fêtes du Xe anniversaire de la Révolution d’Octobre. L'année suivante,  le Congrès De l'Internationale Communiste lui rendra un solennel hommage.
Il séjourne quelque temps en URSS, à la maison de retraite des vétérans socialistes.
Revenu à Saint-Denis, il y meurt  le 26 septembre 1932.

 Comme pour Pottier, son glorieux ainé, ses obsèques, donnèrent lieu à une importante manifestation.
Cinquante mille personnes défilent derrière son cercueil, en lui chantant, comme hommage ultime, le chant de lutte le plus connu dans le monde.
 L'année suivante, la municipalité de Saint-Denis débaptise le square Thiers, pour lui donner le nom de « Square Pierre Degeyter ». Juste revanche posthume contre "Foutriquet, le massacreur", mais c'était bien le moins...!

Sur sa tombe, une faucille, un marteau, une photo.....

.....mais est-il vraiment mort, Pierre Degeyter, ce géant? 
 On peut en tout cas le voir à chaque grande 
occasion populaire dans la bonne ville de Lille.

Ce chant prolétarien et révolutionnaire au  puissant contenu doctrinal, cet hymne qui ne prête à aucune controverse dans les rangs ouvriers, a pu  rallier les prolétaires du monde entier, mais aussi rassembler les tendances contradictoires de la classe ouvrière. Et n’est pas là son plus mince mérite, quand on connait l' âpreté  des rivalités, historiques et actuelles, entre écoles et courants socialistes rivaux.
Tous, socialistes, communistes, syndicalistes, anarchistes, progressistes, libres-penseurs, francs-maçons, tous peuvent s'affronter! Tous peuvent la chanter en choeur...et d'un même coeur! 
 C'est elle qui transcende leurs controverses et  leurs luttes intestines, et produit le miracle d’unir les prolétaires par-dessus les tendances comme par-dessus les frontières.


Cent quarante années plus tard, combien d'entre-nous se souviennent qu’ils doivent à Eugène et à Pierre, leur poing levé dès les premières notes, leur gorge nouée dès les premières paroles,
Pour un adieu à un camarade. Pour un instant de rage. Pour un moment de colère. Pour une minute de fraternité
Pour la joie du "tous ensemble".
Par la force du "tous ensemble".


 Mais qu'en pense ce cher vieux Pete Seeger...?


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Merci à "De la Marseillaise de Rouget de Lisle à l’Internationale de Pottier. Les leçons de l’histoire."Publié par la Librairie populaire en 1938. Première mise en ligne sur raforum.info

merci à François Roux. La mémoire des mutineries de 1917.
(Merci à  Jacques Caucheron in n°9  Revue "Commune")
(Merci à Dominique Bègles in "l'Humanité")
(merci à wikipedia) (merci à Robert Brécy et son florilège de la chanson révolutionnaire)
(Merci à Jesús Cuenca de la Rosa)


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